Compétences en ingénierie

Le cosmos sur écoute

La technologie SKF va contribuer à permettre aux astronomes de pousser encore plus loin leur exploration de l’univers.

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mtex antenna technology, une petite entreprise allemande, a été choisie pour fabriquer les composants stratégiques d’un projet qui alignera des centaines de radiotélescopes en vue de créer le plus grand et le plus ambitieux instrument astronomique de tous les temps. La réussite de cette nouvelle installation repose en partie sur la technologie des roulements de précision SKF.

mtex est l’émanation d’une société de conseil spécialisée fondée par Karl-Heinz Stenvers, ingénieur qui a travaillé pendant plus de 40 ans à la conception des antennes de plusieurs des plus grands radiotélescopes mondiaux. Aujourd’hui, sous la direction de Lutz Stenvers, fils du fondateur, mtex propose tout un éventail de services d’étude, de fabrication, d’installation et de modernisation d’antennes de pointe. Cette alliance de moyens et d’expertise a permis à l’entreprise de remporter le contrat de construction des antennes du Very Large Array (très grand réseau) nouvelle génération, un réseau de radiotélescopes dont l’ambition est d’aller encore plus loin dans l’observation du cosmos.

Tout ou rien

Les astronomes étudient le ciel nocturne à l’aide d’instruments depuis que Galilée, l’ancêtre de la technologie moderne d’observation des étoiles, a commencé à construire et à vendre des lunettes astronomiques en 1609. Depuis, ces instruments n’ont cessé de gagner en volume. Les plus grands télescopes optiques actuels sont munis de miroirs d’environ 10 m de diamètre. Le miroir du bien nommé Télescope géant européen, actuellement en construction au Chili, mesurera 39,3 m de diamètre.

Les radiotélescopes, qui détectent le rayonnement électromagnétique à des longueurs d’onde supérieures à celles de la lumière visible, sont encore plus grands. Leurs réflecteurs peuvent être tapissés de plaques en métal en lieu et place de miroirs, ce qui simplifie la construction et autorise des configurations vraiment gigantesques. Plusieurs pays possèdent des instruments de 70 à 100 m de diamètre. Le plus grand au monde est le télescope sphérique de 500 m d’ouverture (FAST pour Five-hundred-meter Aperture Spherical Telescope) en Chine.

Une question de taille ?

En quelques dizaines d’années, les télescopes géants ont permis de faire des découvertes extraordinaires, qu’il s’agisse de prouver l’existence des trous noirs ou de détecter des planètes en orbite autour d’étoiles lointaines. Mais l’édification d’instruments optiques de plus en plus imposants apporte son lot de difficultés. Ainsi, leur réalisation revient extrêmement cher et les maintenir en bon état est compliqué : en 2020, le radiotélescope d’Arecibo, une antenne de 300 m installée à Porto Rico, s’est effondré lorsque les câbles retenant sa tête de réception se sont rompus, entraînant la chute du composant dans le réflecteur situé en contrebas.

Leur mode de fonctionnement n’est pas non plus optimal. Les plus grands, tels que le FAST chinois et le radiotélescope portoricain mentionné plus tôt, sont munis de réflecteurs sphériques fixes. Pour obtenir des données, les astronomes déplacent le récepteur. Cette méthode ne leur permet d’observer qu’une infime partie du ciel. Les télescopes de moindre dimension sont, eux, totalement orientables, mais requièrent des machines lourdes et des systèmes de commande de pointe capables de manœuvrer avec précision leurs énormes réflecteurs sphériques pour repérer et suivre des objets cibles.

La solution des réseaux

Ces casse-tête techniques et financiers ont encouragé la communauté scientifique à explorer des alternatives aux instruments individuels toujours plus grands. L’une des solutions consiste à recourir à l’informatique pour superposer les données obtenues par plusieurs télescopes de moindre taille et produire des images. Cette méthode, connue sous le nom d’interférométrie astronomique, permet de créer un miroir virtuel dont l’ouverture est égale à la distance séparant les télescopes, laquelle peut atteindre des centaines, voire des milliers de mètres. Quand les ordinateurs sont devenus suffisamment puissants pour gérer les calculs complexes nécessaires à l’assemblage de ces images, les réseaux de radiotélescopes ont poussé partout comme des champignons.

L’un des plus connus est le Very Large Array (VLA), un groupe de 28 radiotélescopes aux réflecteurs de 25 m de diamètre chacun, disposés en Y dans une plaine désertique du Nouveau-Mexique, aux États-Unis. Ses télescopes sont montés sur des rails afin d’être positionnés en fonction des desiderata des astronomes. Dans sa configuration la plus grande, les instruments les plus éloignés sont situés à 21 km du centre du réseau. Érigé dans les années 1970 et modernisé dans les années 2010, le VLA a tenu le haut du pavé pendant des décennies, fournissant d’abondantes données précieuses à la communauté scientifique et faisant régulièrement de la figuration dans les films de science-fiction.

Une représentation illustrant la future antenne ngVLA. Image: mtex antenna technology

La nouvelle génération

Le VLA ayant largement dépassé les 40 ans d’exploitation, son propriétaire, le National Radio Astronomy Observatory (NRAO), vient de lancer un ambitieux programme d’un montant de deux milliards de dollars pour le remplacer par une version plus moderne. Conformément aux usages de la communauté astronomique qui consistent à donner les noms les plus simples possible aux télescopes, le nouveau réseau s’appellera le « Very Large Array » nouvelle génération (ngVLA).

Grâce à lui, l’interférométrie astronomique va atteindre de nouveaux sommets. Il sera constitué d’antennes individuelles aux réflecteurs plus petits : 18 m de diamètre contre 25 pour les précédents. Mais il y en comptera beaucoup plus. Le réseau principal comprendra 244 antennes formant plusieurs bras en spirale et réparties sur le site actuellement occupé par le VLA. Une trentaine d’antennes supplémentaires prolongeront ces bras sur plus de 1 000 km dans le sud-ouest du pays, et d’autres seront positionnées dans les États-Unis continentaux, ainsi qu’à Hawaï et à Porto Rico, afin de créer un télescope virtuel à l’échelle du continent.

Lutz Stenvers, directeur général de mtex antenna technology, inspectant la base d’une antenne du ngVLA avec son collègue Tobias Will. Photo : mtex antenna technology

Une antenne plus actuelle

Lorsque Evolution s’entretient avec Lutz Stenvers en mai 2024, son équipe est en route pour le Nouveau-Mexique avec le premier prototype d’antenne du ngVLA. Les nouvelles antennes sphériques ne sont plus vraiment ce qu’elles étaient. Alors que la plupart des radiotélescopes sont munis d’un réflecteur rond symétrique avec des éléments de réception maintenus en face de son centre, les antennes du ngVLA auront une forme plus rectangulaire et leur récepteur sera fixé face au bord inférieur de leur réflecteur. Appelée « antenne de type grégorien à source décalée », cette configuration s’est avérée plus performante qu’une antenne parabolique symétrique de même dimension.

Le cahier des charges stipule une précision angulaire de trois secondes d’arc.

Lutz Stenvers de mtex antenna technology

« Cette conception présente de nombreux avantages par rapport à une antenne circulaire, mais elle est beaucoup plus difficile à réaliser, explique Lutz Stenvers. Le bouclier d’une antenne circulaire ne comprend que quelques anneaux [concentriques] ; pour le ngVLA, nous avions besoin d’une structure nettement plus complexe. »

Le bouclier du réflecteur joue un rôle crucial pour les performances de ce dernier. Pour que les images soient nettes, l’armature doit maintenir en place les panneaux en aluminium du réflecteur avec une précision de quelques fractions de millimètre sur une structure qui bouge constamment durant son utilisation et qui doit fonctionner pendant des dizaines d’années en plein air, exposée à des vents violents et à des conditions météorologiques contraignantes.

Comme si ce n’était pas déjà suffisamment compliqué, les antennes doivent pouvoir être conditionnées dans un espace réduit pour faciliter la logistique et le transport, tout en pouvant être assemblées rapidement et avec précision sur le site. En outre, des centaines d’exemplaires identiques étant nécessaires, le coût est également un facteur clé.

La solution de mtex consiste à fixer le réflecteur sur une armature composée de triangles formés par plus de 700 tubes en acier, lesquels sont raccordés à des rotules de suspension haute précision qui se verrouillent pour maintenir la forme finale souhaitée. La tête de réception, qui capte les ondes radio réfléchies, repose sur des tubes de 8 m de long en fibre de carbone, un matériau retenu pour son extrême rigidité.

L’ensemble est monté sur une tour en acier qui abrite les moteurs et les systèmes de commande servant à orienter l’antenne. Tous les composants sont conçus pour tenir, à l’état démonté, dans quelques conteneurs de transport standard. Chaque composant est muni d’un QR code unique qui permet aux techniciens de monter rapidement les pièces détachées correspondantes dans le bon ordre.

Lutz Stenvers, directeur général de mtex antenna technology, et Juergen Blum, directeur des ventes, de la qualité et des processus chez SKF, ont collaboré étroitement sur le projet ngVLA ces deux dernières années.

Défilé au ralenti

Un radiotélescope est à la fois un mécanisme et une structure. Réflecteur et récepteur tournent ensemble autour de deux axes pour maintenir l’instrument pointé vers sa cible dans le ciel. Ce mouvement prend deux formes : lent, lorsque le télescope pivote entre les cibles, et très lent, lorsque le système de commande effectue d’imperceptibles réglages pour suivre la cible en compensant les effets du vent et de la rotation de la Terre.

« Le cahier des charges stipule une précision angulaire de trois secondes d’arc », indique Lutz Stenvers. Soit moins d’un millième de degré. Sur Terre, cette précision suffirait pour atteindre par rayon laser une cible de 1 m de large située à une distance de 69 km.

Ce niveau de précision exige des capteurs et des logiciels de commande de pointe, ainsi que des composants mécaniques extrêmement exacts. Pour les deux roulements d’élévation qui font tourner le télescope entre 12 et 90° au-dessus de la ligne d’horizon, mtex a sélectionné SKF comme fournisseur préférentiel.

Les deux entreprises collaborent depuis environ deux ans et ont spécifié une solution de roulement répondant aux besoins du télescope en matière de capacité de charge élevée, de faible frottement et de précision extrême. « Les roulements à rotule sur rouleaux SKF Explorer constituent la base de la solution, précise Juergen Blum, directeur des ventes, de la qualité et des processus chez SKF. Chaque roulement a un diamètre extérieur de 720 mm et pèse 290 kg. C’est le genre de roulement qu’on trouve généralement dans les grandes machines à papier ou dans les équipements miniers. »

Dans ces applications plus standard, les roulements de ce type doivent résister à des vitesses élevées, aux chocs et aux vibrations. Dans un télescope, ajoute Lutz Stenvers, « il est pratiquement immobile. » Cette application exige du roulement d’autres qualités : il doit pouvoir supporter la charge avec un jeu minimal ; et son mouvement, bien que lent, doit être fluide et extrêmement prévisible.

Les équipes d’étude et d’ingénierie d’application SKF ont effectué des simulations très poussées pour trouver la configuration la plus adaptée à la mission. Ils ont opté pour un système de lubrification fiable qui fournit la quantité de graisse suffisante au bon moment afin de limiter l’effet stick-slip au démarrage et réduire le frottement et l’usure pendant le fonctionnement. Les bagues des roulements sont fabriquées avec encore plus de précision que d’ordinaire en vue de réduire au maximum les variations d’épaisseur sur le pourtour de la bague, lesquelles pourraient faire trembler l’arbre en cours de mouvement. Les roulements du prototype sont montés sur des manchons coniques spéciaux qui permettent de régler avec précision le jeu final au cours du montage et, grâce à leur conception, de réduire encore l’usure radiale pendant le fonctionnement.

Un roulement à rotule sur rouleaux SKF Explorer en cours de montage à Göteborg, en Suède.

Vers la première lumière

Au début de l’été 2024, une équipe SKF se rendra en Espagne pour aider mtex à installer et à ajuster les roulements sur le prototype. Celui-ci sera ensuite démonté et expédié vers sa destination finale, au Nouveau-Mexique, où mtex passera deux mois à tester les systèmes de commande et de mouvement avant de livrer officiellement l’instrument à son client.

L’équipe du NRAO installera ensuite un kit de capteurs prototype sur l’instrument, dans l’objectif de prendre au début de l’année 2025 les premières « images » – un moment connu dans le monde de l’astronomie sous le nom de « première lumière ». Cela marquera le début d’une période d’essais et de réglages intenses de 18 mois. Si tout se passe comme prévu, le NRAO lancera la production à grande échelle des antennes pour le projet ngVLA en 2027, une phase qui devrait durer une dizaine d’années.

Pour Lutz Stenvers, la période actuelle est palpitante, mais aussi douloureuse. Son père est décédé quelques semaines avant le début de l’assemblage de la première antenne ngVLA. Le prototype sera baptisé « Telescope Karl-Heinz Stenvers » en sa mémoire.