La précision au diapason
Martin Molin a un grand dessein : parfaire sa « machine à billes », un instrument de musique innovant comportant des billes en acier qui, en chutant, jouent une mélodie. SKF lui a naturellement prêté son assistance technique.
Depuis sept ans, le musicien suédois Martin Molin travaille sur un nouvel instrument. Ce qu’il a baptisé « machine à billes » peut certes jouer de la musique, mais il n’est, admet-il, pas du tout pratique : « Une guitare, voilà est un bon instrument pour faire de la musique. Un clavier MIDI, c’est parfait. Une machine à billes, c’est la pire solution qu’on puisse imaginer. »
Alors pourquoi consacrer sept ans – et ce n’est pas fini – à mettre point un instrument aussi inadapté ? Dans une certaine mesure, c’est parce que, à ses yeux, cette machine est plus une œuvre d’art qu’un objet mécanique. Il la qualifie d’ailleurs souvent de sculpture. « On monte encore à cheval alors qu’il existe des voitures. Je veux voir jusqu’où je peux emmener mon cheval. »
Pour comprendre pleinement son invention, il convient d’en donner une brève description. Elle ressemble à un métier à tisser de style victorien qui contiendrait 2 000 billes en acier. Le premier prototype, qu’il dit avoir construit à la va-vite, a remporté un grand succès sur Internet. Le musicien a donc créé un autre prototype, plus abouti, actionné par une manivelle. Les billes sont transportées vers le sommet de la machine. De là, entraînées par la gravité, elles sont guidées par plusieurs dispositifs avant de chuter, certaines sur les touches d’un vibraphone afin de jouer des notes prédéterminées, d’autres sur des éléments de percussion.
Selon Martin Molin, il est essentiel de pouvoir « jouer » de la machine au lieu de simplement appuyer sur un bouton et de rester à côté. Les billes tombent en respectant une partition écrite à l’avance. Quant à l’opérateur, son rôle est d’ajouter les nuances. « La musique est préprogrammée, mais si je n’agis pas sur les leviers, elle n’a aucune dynamique. » Ainsi, il peut mettre certaines sections en sourdine, ce qui lui permet, par exemple, de faire une transition entre un couplet et le refrain. En outre, la machine comprend des cordes et un manche de guitare basse, dont il appuie lui-même sur les cases.
« Il faut qu’il y ait des surprises et des erreurs. Je souhaite vraiment m’en servir en concert, chaque public entendra une version différente de la mélodie. » L’artiste suédois a l’intention de construire une troisième version de sa machine à billes. Lorsqu’elle sera au point, il espère l’intégrer à son spectacle et l’emmener en tournée avec son groupe, Wintergatan.
Musique mécanique
La machine à billes n’est composée que de pièces standard et est entièrement mécanique : pas un seul composant électrique ou électronique. « Je pourrais probablement supprimer 60 % des composants si j’optais pour des moteurs électriques. Mais d’un point de vue artistique, ça a du sens de faire les choses comme je l’entends. »
On monte encore à cheval alors qu’il existe des voitures. Je veux voir jusqu’où je peux emmener mon cheval.
Martin Molin
La machine à billes a des points communs avec d’autres instruments tels que le Pianola, ou piano mécanique, qui a connu son heure de gloire au début du 20e siècle. Dans le cadre de ses recherches, Martin Molin s’est rendu dans deux musées de la musique mécanique. « Ces instruments ont tendance à captiver pendant environ une minute, après quoi les gens se lassent. » C’est la raison pour laquelle, explique-t-il, les mécanismes internes de la machine à billes sont visibles et non dissimulés derrière des panneaux. « Je veux montrer les rouages de la machine. Cela permet de retenir l’attention. »
Cela s’inscrit également dans son ambition de créer une sculpture, certes mobile dont les multiples pièces produisent de la musique. Art ou construction mécanique ? C’est une question qui le poursuit continuellement. De son propre aveu, il est un ingénieur novice, mais il fait remarquer qu’il se perfectionne de jour en jour.
La synchronisation des billes représente une difficulté. Pour que la mélodie soit harmonieuse, il faut organiser la chute des billes avec une précision de l’ordre de la milliseconde. « C’est plus précis que ce que peut faire un musicien de chair et d’os. » Chez un musicien, une légère variation rythmique est qualifiée de « feeling », « groove » ou « émotion ». Mais si un instrument du genre boîte à rythmes, par exemple, est légèrement décalé, alors c’est un couac.
Rigueur technique
Cependant, concevoir un mécanisme qui joue de la musique avec une précision absolue n’est pas une tâche facile. Chemin faisant, Martin Molin a été amené à embrasser avec plus de rigueur les principes du génie mécanique et il a sollicité l’aide de SKF et d’autres experts. « Je me suis rendu compte de l’importance de la fiabilité. La machine doit fonctionner avec régularité. Je ne veux pas qu’elle casse et déçoive le public. »
Grâce aux conseils de SKF et d’autres spécialistes, il a appris et continue d’apprendre les principes de génie mécanique essentiels qui l’aident à perfectionner sa machine. Il publie régulièrement des vidéos sur YouTube, dans lesquelles il fait part de ses idées ainsi que de ses avancées et de ses revers. Souvent, des internautes l’aident à résoudre des problèmes.
C’est le succès remporté par ces publications qui a, en partie, attiré l’attention de SKF. Roger Emlind, ingénieur expert chez SKF, est devenu le principal agent de liaison entre Martin Molin et le Groupe. Il se considère à la fois comme un partenaire de discussion et un guide dans l’univers des produits SKF et a fait appel aux principes de génie mécanique traditionnels pour résoudre les problèmes peu orthodoxes posés par la machine à billes (voir encadré).
De par son approche quelque peu naïve, Martin Molin est parfois tombé par hasard sur des solutions potentiellement révolutionnaires aux problèmes qui se posent à lui. L’une d’elles est le mécanisme d’Huygens, inventé par Christiaan Huygens, physicien néerlandais du 17e siècle, et conçu pour faire avancer les horloges par le biais d’un poids (le pendule cycloïdal) et permettre aux premiers télescopes de suivre les étoiles dans le ciel. « Je prévois d’utiliser son mécanisme pour lisser par gravité l’énergie cinétique transmise par l’opérateur. »
Il a préféré deux grands volants d’inertie à la manivelle pour organiser la circulation des billes à l’intérieur de la machine. « L’un des moments intéressants de la synchronisation, c’est d’arriver à faire tourner tel ou tel arbre à un régime bien précis. »
Martin Molin travaille constamment à l’amélioration de la conception du mécanisme qui libère les billes en fonction de la musique préprogrammée. Il semble quelque peu ambivalent vis-à-vis des billes qui, selon lui, ont tendance à « faire les folles » : « Leur capacité de nuisance m’a surpris. Elles n’en font qu’à leur tête et cherchent à mettre la pagaille. C’est le problème que je me prépare à résoudre dans la version 3. »
Point final
Cette version 3 est censée être l’ultime mouture de la machine à billes. Il n’existe pas encore de prototype en état de marche. Actuellement, le musicien réfléchit à la manière d’améliorer certains organes, tels que les volants d’inertie et le mécanisme d’Huygens, et de remplacer la manivelle par des pédales, afin d’avoir les deux mains libres pour jouer.
En outre, il a commencé à concevoir divers éléments via la modélisation par CAO 3D (il s’empresse d’ajouter que le papier et le crayon remplissent toujours un rôle essentiel).
Sept ans après le début du projet, il n’a rien perdu de son enthousiasme. Pourtant, il a hâte d’en voir le bout. « Je veux terminer la machine pour montrer ce qui se passe quand on ne renonce pas à ses rêves. »