À l’ère de la collaboration
La collaboration est depuis longtemps intégrée dans l’entreprise, mais sa définition commence à dépasser le cadre des équipes à l’intérieur des structures pour inclure les réseaux d’innovation avec d’autres partenaires que les fournisseurs ou les clients.
Des centaines d’athlètes excellent dans un sport, mais rares sont les triathlètes olympiques : 1 500 m à la nage, 40 km de vélo et 10 km de course, le tout en moins de deux heures. Comme ces athlètes polyvalents, les entreprises qui réussiront le mieux au 21e siècle seront celles qui exploiteront leurs talents dans plusieurs domaines, au sein de leur propre structure et en coopérant avec d’autres sociétés afin de s’emparer de nouveaux marchés.
La collaboration sous ses diverses formes est intégrée dans l’entreprise depuis les années 1960, mais commence à inclure les équipes à l’intérieur des structures et celles qui partagent des intérêts, compétences et objectifs communs. Si la coopération tout au long de la chaîne d’approvisionnement (collaboration verticale) s’est solidement ancrée dans les années 1990, elle se développe actuellement au niveau horizontal et entre les entreprises qui ne sont pas forcément des fournisseurs ou des clients.
Le cabinet d’études Forrester Research estime que ces « réseaux d’innovation » sont les meilleurs outils pour répondre à la demande mondiale en innovation. À l’ère de la mondialisation, alors que les entreprises doivent accélérer le rythme, aucune n’a les moyens de rester à l’écart. « Les réseaux d’innovation vont permettre aux sociétés de mêler avec fluidité, en interne et en externe, les inventions et services novateurs pour optimiser la rentabilité de leurs produits, services et modèles économiques », prévoit le cabinet.
Cela se passe déjà : Cisco Systems a choisi de rester propriétaire du design mais s’adresse à des tiers pour transformer ses projets en produits finis. Autres exemples, le bureau d’études de l’entreprise de design et d’ingénierie IDEO a collaboré avec les clients de ses clients pour susciter de nouvelles idées ; le géant de l’industrie pharmaceutique, Eli Lilly, booste la productivité de son service de R&D en mettant en contact ses 6 000 chercheurs avec 25 000 chercheurs indépendants dans 125 pays via un réseau commun pour échanger des concepts, astuces et raccourcis originaux.
Alors qu’autrefois une entreprise parvenait à accumuler de la richesse à l’aide de ses propres inventions et salariés, les temps changent, estime Raymond E. Miles, professeur à la Haas School of Business de l’université de Californie à Berkeley. Dans son ouvrage Collaborative Entrepreneurship (Stanford University Press), il montre que les connaissances disponibles pour innover sont une ressource inexploitée dans l’économie actuelle. Les entreprises ont besoin d’un moyen de tirer parti du surplus d’idées qui sont gâchées. Ce moyen est, d’après lui, les « communautés collaboratives ».
Au sein de ces communautés, les entreprises créent et partagent les connaissances, transférant une idée qui n’a aucune valeur pour le marché de l’une sur le marché d’une autre. Les idées sont stockées dans une banque de données commune et accessible à tous les membres. Lorsqu’une société voit une idée qui pourrait lui être utile, elle contacte celle qui est à son origine pour mettre en place un groupe d’étude interentreprises qui va développer l’idée et partager ses avantages.
Raymond Miles avoue que tout cela semble un peu utopique. « Ce système exige un niveau de confiance qui manque souvent dans le monde des affaires. Mais je crois qu’on peut créer de la confiance entre les entreprises de la même manière qu’on le fait au sein d’une famille, d’une classe ou d’un laboratoire scientifique. »
Les compagnies qui se méfient des motivations d’autres firmes, même si celles-ci ont des activités ou compétences complémentaires, et qui n’exploitent pas leurs propres talents internes auront plus de mal à adhérer à cette vision. « Dans l’entreprise type, le type de connaissances qui mène à l’innovation et à l’invention a du mal à être collecté et à faire son chemin jusqu’au sommet. Dans le cas où cela arriverait, il est difficile de mettre cette idée sur le marché et, même dans ce cas, il se peut que l’entreprise ne soit pas capable de récolter tous les bénéfices d’une idée ou d’un projet sur son propre marché. »
Avant qu’une société puisse établir une collaboration interentreprises réussie, elle doit enseigner l’art de la coopération chez elle. « Si elle ne prend pas des mesures pour développer cette collaboration, rien n’arrivera, indique Raymond Miles. Une grande partie du comportement habituel d’une entreprise va à l’encontre de la collaboration. Les sociétés n’investissent pas lourdement dans la dynamique qui pourrait déboucher sur la coopération. Par exemple, ceux qui ont l’habitude de travailler en ‘silos’ ont peur qu’une idée partagée avec un autre service ou une autre division ne lui donne un avantage concurrentiel au sein de l’entité. Cet état d’esprit est souvent renforcé par un système de bonus qui récompense les performances individuelles plutôt que celles d’équipes. »
La collaboration, qu’elle soit interentreprises ou au sein d’une structure, est actuellement boostée par la technologie. Une nouvelle génération de technologies collaboratives basées sur Internet permet aux entreprises de coopérer étroitement avec leurs partenaires, quelle que soit la distance, afin de mettre des nouveautés sur le marché en un temps record et sans faire sauter la banque. Grâce au réseau mondial, les représentants d’une société dont les systèmes informatiques sont incompatibles peuvent échanger sur des sites Web de langue commune. Les personnes intéressées peuvent
se parler via leurs ordinateurs tout en visionnant des documents partagés, avoir des conversations par courrier électronique ou utiliser des tablettes électroniques.
Mais comme le fait remarquer Raymond Miles, la technologie seule ne donnera pas naissance à des communautés collaboratives. « Ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas d’ordinateurs, de banque de données commune ou d’intranet que les gens ne parviennent pas à échanger des idées. En fait, nous sommes souvent techniquement capables avant d’être socialement capables : rien ne remplace l’interaction entre les collaborateurs. »
Avant que ceux-ci se considèrent comme partie intégrante d’une communauté collaborative, il faut que le partenariat se concrétise au sein de l’entreprise. D’après Forrester Research, tous les salariés doivent se considérer comme des inventeurs en puissance. Les labos de R&D et les équipes de développement produit ne sont pas les seules sources d’innovation d’une compagnie. Les équipes interservices capables d’exploiter les capacités opérationnelles de tout un groupe pour convertir rapidement des idées en innovations ouvriront la voie à d’autres collaborations au sein de la structure et à l’extérieur. Le slogan « Le client a toujours raison » est aussi de mise dans ce contexte : être à l’écoute des besoins des gros clients peut contribuer à stimuler le progrès.
Les entreprises n’ont pas besoin d’embaucher des triathlètes olympiques pour relever les défis de l’ère des réseaux, mais elle peuvent s’inspirer de ce qui se passe sur un terrain : une équipe sportive n’est jamais formée d’individus occupant tous la même position et ayant tous les mêmes talents. Il n’y aucune raison pour qu’une équipe au sein d’une société soit différente : chaque membre apporte ses propres compétences et connaissances, et ses responsabilités aussi. La clé est d’ouvrir la porte à tout ce potentiel et le laisser trouver un endroit où s’épanouir.