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Gillis Herlitz

À l’heure où la mondialisation met l’accent sur les compétences en matière de communication interculturelle et où les entreprises feignent de s’intéresser aux mérites de la pluralité, il est urgent d’écouter les conseils avisés d’experts tels que Gillis Herlitz.

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À l’heure où la mondialisation met l’accent sur les compétences en matière de communication interculturelle et où les entreprises feignent de s’intéresser aux mérites de la pluralité, il est urgent d’écouter les conseils avisés d’experts tels que Gillis Herlitz.

L’an dernier, Gillis Herlitza pris 70 fois l’avion en partance de l’aéroport international de Stockholm et a parcouru 50 000 kilomètres en voiture pour exercer son métier de conférencier et de conseiller d’institutions en panne d’idées. La communication interculturelle est sa spécialité et il a un doctorat d’ethnologie et une licence d’anthropologie. Il a donc sa petite idée sur la raison pour laquelle on le demande autant : « Les contacts transfrontaliers se multiplient car le tourisme, le commerce et les migrations augmentent et la mondialisation met en lumière le besoin de maîtriser la communication et l’interaction interculturelles. »

Dans ce dernier domaine cependant, la mondialisation se traduit de bien des manières et peut même, associée à l’explosion d’Internet, niveler les cultures nationales. « Les frontières nationales sont de moins en moins des frontières culturelles. Nous, ethnologues, préférons nous concentrer sur les différences créées par l’éducation, sur les citadins par opposition aux ruraux, personnes âgées/jeunes, etc. Internet, en particulier, a contribué à brouiller les frontières. Aujourd’hui, il arrive que des jeunes se sentent des affinités avec d’autres qui habitent à l’autre bout de la terre, qu’ils n’ont jamais rencontrés et ne rencontreront probablement jamais. » D’après l’ethnologue, un jeune reçoit les mêmes messages médiatiques où qu’il ou elle habite. Il y a moins de différences entre un adolescent de Madrid et un autre de New Delhi aujourd’hui qu’il y a 40 ans.

Les gens qui travaillent ont toujours eu une longueur d’avance en termes d’interaction interculturelle : « Un comptable thaï a certainement plus de points communs avec un confrère parisien qu’avec, par exemple, un riziculteur », souligne-t-il avant d’ajouter rapidement : « … même si certaines caractéristiques nationales diffèrent et ajoutent à la complexité générale. »

 

Certes, Gillis Herlitzn’est pas un adepte des solutions miracles, leur préférant les analyses bien tournées de sujets complexes. Collaborateur de l’ASDI (l’agence suédoise de coopération internationale au développement) pendant 15 ans, il s’est heurté à toute une ribambelle de préjugés par-delà les frontières culturelles et, du moins au début, en son for intérieur. Il affirme néanmoins que les préjugés ne sont pas forcément tous mauvais. « Nos préconceptions stéréotypées nous aident à comprendre le monde et ne posent pas nécessairement problème à moins qu’on omette de se demander quand et pourquoi on généralise ainsi et qu’on ne se rende pas compte qu’on nourrit des idées préconçues à l’encontre d’autres. Si l’on ne s’en aperçoit pas, on ne peut pas s’efforcer activement de changer. Ce que l’on perçoit comme la vérité objective peut avoir été filtrée inconsciemment par des expériences et croyances personnelles. »

Les années passées en Afrique au début de sa carrière l’ont conduit à constater qu’il ne suffit pas de se poser la question « Pourquoi agissent-ils ainsi ? ». « On doit aussi se demander : ‘Pourquoi je réagis de cette façon, pourquoi est-ce que je les trouve bizarres ?’. »

Quand on lui demande s’il est prêt à généraliser sur les différences culturelles, il évoque la distinction qui existe entre les cultures non-occidentales axées sur le relationnel et les cultures occidentales orientées sur la réussite. « Dans bon nombre de cultures non-occidentales, la conversation est une chose précieuse en soi. Nous ne comprenons pas pourquoi car, pour nous, le temps doit être consacré à accomplir quelque chose de tangible et non à développer des relations. Ce que l’on considère parfois comme de simples banalités peut, en fait, faire partie de négociations d’affaires. Pour de non-Occidentaux, apprendre à mieux se connaître sur le plan personnel peut être plus fondamental que d’aborder les sujets inscrits à l’ordre du jour. »

Pour un homme ou une femme d’affaires occidental(e) ayant été formé(e) aux techniques de rencontre, il peut être difficile de se hasarder sur un terrain inconnu. De quoi parler à part les affaires ? Le conseil de Gillis Herlitz est de se renseigner sur la culture du pays visité. « Sur l’histoire de l’art locale, par exemple, l’architecture ou la littérature. Montrer ce type de connaissances fait très bonne impression, en particulier à un moment où de nombreux pays ont du mal à trouver leur identité nationale dans ce village mondial. Il ne faut pas sous-estimer les avantages d’une bonne impression en matière commerciale. »

 

Autre domaine délicat :tout le monde ne souscrit pas à notre conception du temps. « Si un Occidental convient d’un rendez-vous à une heure précise avec une personne qui arrive une heure en retard en disant, par exemple, qu’un membre de sa famille est tombé malade, le premier sera perturbé s’il ne connaît pas la culture axée sur le relationnel : ‘perdre du temps’ est un péché capital dans le monde industrialisé. Pour nous, le temps est linéaire et limité. Pour d’autres cultures, il est circulaire et infini. En Occident, la pensée utilitaire a constamment la priorité. »

Le revers de la clinquante médaille de la mondialisation, affirme l’ethnologue, est la recrudescence du nationalisme, en réaction en partie au sentiment d’absence croissante de racines dans ce village soi-disant mondial. Pour étayer sa thèse, il ajoute qu’on a publié plus de livres sur la culture suédoise ces dix dernières années qu’au cours des 90 années précédentes. « Je me suis demandé pourquoi et ai conclu que l’Union européenne et l’immigration étaient les principales raisons. La rencontre d’autres individus engendre un besoin de créer un moi. D’où la quête d’une identité et un désir d’identifier les différences qui nous définissent par rapport à eux. »

La première réaction des Suédois après l’adhésion de leur pays à l’UE en 1995 a été de se replier sur eux-mêmes. Gillis Herlitz se souvient qu’on avait conféré à tout ce qui était suédois, que ce soit du tabac à priser ou d’autres bagatelles, une nouvelle aura.

Par définition, affirme-t-il, toutes les communautés pratiquent l’exclusion d’une manière ou d’une autre. L’identification avec un groupe est un besoin fondamental de l’être humain. Le problème, ce n’est pas le mode de pensée « nous/eux » en lui-même, mais ce que l’ethnologue appelle « les mécanismes de protection des frontières ». « Si nous nous obstinons à dire ‘nous les Occidentaux’ et ‘ces Africains’ et associons une valeur à ces termes, il y a un problème. Le mécanisme de protection des frontières est fondé sur la valeur que l’on accorde aux différences entre, disons, les hommes et les femmes, les Blancs et les Noirs. Il faut se méfier des groupes d’intérêt qui cherchent à usurper et à perpétuer les différences et à leur conférer une valeur négative. »

Bref, résume-t-il, n’ayez pas peur de penser en termes de « nous/eux », mais attention au modèle de croyances attaché à cette distinction. « Examinez vos modèles de croyances et veillez à en être conscient. Ne présumez jamais être totalement impartial. Rares sont ceux qui le sont. Documentaristes et historiens ne le sont pas, même s’ils veulent le croire. »

En plus de la communication interculturelle, on demande souvent à Gillis Herlitz de donner son point de vue sur un autre sujet, le stress au travail. Pourquoi ce phénomène prend-t-il de l’ampleur ? A-t-il un rapport avec la mondialisation ? « La précarité sur le lieu de travail augmente car le rythme du changement est bien plus rapide de nos jours. En outre, l’actionnariat des entreprises est perçu par beaucoup comme un propriétaire distant et incontrôlable. La seule chose dont on peut être sûr aujourd’hui au travail est que les choses vont changer et qu’elles ne resteront pas en l’état. »

 

Pour aider leur personnelà affronter un avenir de plus en plus incertain, les sociétés doivent renforcer leur culture d’entreprise dans plusieurs domaines : « Donnez à chaque collaborateur un sentiment d’importance. Les gens veulent être reconnus, êtres vus. Ce n’est pas un rôle uniquement dédié aux managers. On doit faire comprendre aux collaborateurs qu’ils sont un élément essentiel du lieu de travail et qu’ils font partie du cadre de travail de leurs collègues. Nous sommes tous là pour apporter notre contribution. »

Ce ne sont pas les cours de leadership qui manquent, mais Gillis Herlitz croit qu’une formation en travail collectif est tout aussi cruciale. « Ne renoncez
pas parce que vous ne faites pas partie de l’encadrement. On a souvent tendance à confondre le fait d’être collègues et celui d’être copains, mais ce n’est pas la même chose. Puisqu’on ne peut pas échapper à ses collègues, du moins si l’on tient à garder son emploi, on a le droit d’exiger beaucoup des autres au bureau. »

La communication intraculturelle est parfois aussi délicate que l’interaction interculturelle. Voilà pourquoi les entreprises doivent établir des règles concernant l’interaction sociale au travail. Ces règles doivent couvrir ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, comment et quand critiquer les autres, comment les collaborateurs doivent entretenir des rapports les uns avec les autres afin d’être efficaces au travail. « Ils ont besoin d’être rassurés qu’ils ne seront pas exclus s’ils pensent autrement. Ces règles doivent s’appliquer dans toute la hiérarchie. »

Selon l’ethnologue, l’accélération du tempo au travail et dans la vie en général entraîne une superficialité croissante et un manque de patience envers les gens perçus comme différents. « La vitesse n’est pas compatible avec une réflexion approfondie et l’intensification du stress incite les gens à collaborer de préférence avec ceux avec lesquels ils se sentent des affinités. On estime qu’il est plus stressant d’affronter la diversité dans un monde où tout évolue rapidement. »

Il conseille aux employeurs d’inciter tous les employés, pas seulement les cadres, à se mettre en quête d’une diversité qui est non seulement inévitable mais aussi souhaitable dans l’environnement multiculturel d’aujourd’hui. « Ne recrutez pas simplement pour respecter des quotas relatifs aux minorités. Recrutez des individus qui permettent aux autres d’être des individus. Ne claironnez pas seulement que vous êtes pour la diversité, mais pourquoi vous l’êtes. Et recrutez des gens qui sont curieux et qui osent affirmer leur différence. Informez sur les avantages de la diversité et professez votre foi en elle. »