Ouverture de la chasse aux talents

L’évolution démographique et les valeurs de la nouvelle génération devraient déboucher sur une grave pénurie de talents. Pour survivre et prospérer, les entreprises doivent reconsidérer leur management des compétences.

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Résumé

Conseils de lecture
Bengt Lejsved, associé et DG adjoint de Heidrick & Struggles International, cabinet de recrutement de cadres recommande le livre De la performance à l’excellence de Jim Collins (Éd. Village mondial 2003). Cet ouvrage démontre que les entreprises qui réussissent sont celles qui embauchent les bons collaborateurs. Jim Collins a étudié 6 000 entreprises pour découvrir celles qui de médiocres ont fait mieux que l’indice des valeurs boursières sur une période d’au moins 15 ans d’affilée. Ni la technologie, ni l’innovation, ni la chance n’étaient à l’origine de leur réussite, mais plutôt le fait d’avoir recruté les salariés ad hoc et d’avoir entretenu et développé ce réservoir de talents au sein de l’entreprise.

L’évolution démographique et les valeurs de la nouvelle génération devraient déboucher sur une grave pénurie de talents. Pour survivre et prospérer, les entreprises doivent reconsidérer leur management des compétences.

Quelle ressource va bientôt manquer et entraver la croissance économique et la prospérité du monde occidental ? Le pétrole ? Les capitaux ? Non, ce sont les cerveaux. « Les gens doués ! », s’exclame Bengt Lejsved, associé et DG adjoint suédois de Heidrick & Struggles International, éminent cabinet de recrutement de cadres et de services pour leur développement.

La récente récession a peut-être contribué à détourner les projecteurs de la pénurie imminente de talents, mais c’est temporaire, estime Bengt Lejsved. À son point de vue, les entreprises doivent changer d’attitude : une approche structurée du développement des compétences est essentielle, voire même cruciale, à leur survie. « Entretenir et retenir les compétences est le défi majeur que les entreprises doivent relever aujourd’hui et encore plus demain quand la chasse aux talents sera ouverte. »

À cet égard, beaucoup de patrons ne sont pas au bout de leurs peines, à en croire une étude du cabinet-conseil McKinsey effectuée en 2001. Celle-ci montre que sur 410 cadres des 35 plus grosses sociétés américaines, 19 % seulement affirmaient être doués pour recruter des talents et tout juste 8 % estimaient être capables de les retenir.

La nouvelle donne démographique, à savoir le prochain départ en retraite d’un nombre alarmant de cadres supérieurs, est à l’origine de la pénurie annoncée dans les pays industrialisés. L’institut suédois de la statistique prévoit que le marché du travail national devra s’accommoder d’un déficit de 8 000 ingénieurs en 2008. Aux USA, les projections du Bureau of Labour Statistics montrent une pénurie d’environ 10 millions de travailleurs d’ici l’an 2010. « C’est difficile à imaginer aujourd’hui, mais nous allons bientôt connaître la pire pénurie de main d’œuvre de notre vie, annonce Jeff Taylor, fondateur de Monster, leader mondial de l’emploi sur Internet. Les enfants du ‘baby boom’ qui représentent actuellement un pourcentage important de la main-d’œuvre vont bientôt quitter le marché ; 70 à 75 millions devraient prendre leur retraite dans les prochaines années. »

Bengt Lejsved fait remarquer que les équipements, les capitaux et les marques sont toujours largement considérées comme les principaux véhicules permettant à une entreprise de rester en première ligne. « Mais d’ici cinq ans, ce seront les gens, les gens doués. On passe beaucoup de temps à prendre la décision d’investir dans de nouvelles machines et d’autres dépenses, mais on se focalise très peu sur les talents et le développement des compétences. »

 

Le passage de la pénurie de compétences à celle d’individus va déclencher une révolution pour les demandeurs d’emploi, estime Jeff Taylor. « Les entreprises vont être obligées de se concentrer sur les besoins de leur personnel. Les employés seront au pouvoir et leurs employeurs seront obligés de bien les traiter s’ils veulent les retenir. Négliger de se préparer à ce nouveau marché du travail pourrait se révéler dangereux, il n’est pas exclu que des sociétés fassent faillite parce qu’elles ne parviennent pas à conserver leurs salariés. »

Toutefois, la pénurie de compétences peut, dans une certaine mesure, être endiguée par les gains de productivité et la progression de l’automatisation (et donc la diminution de la main d’œuvre). Secundo, la production est transférée vers les marchés émergents en-dehors de la sphère occidentale. « Il est difficile de prévoir quel résultat cette équation finira par donner », avoue Bengt Lejsved, qui pense néanmoins que la stratégie de ne rien faire est une grave erreur.

Dans ces conditions, quelle position doivent adopter les entreprises avant que commence la chasse aux talents ? « En prenant soin de leur personnel dès maintenant, elles peuvent éviter les dommages que produira une rotation rapide des salariés quand le marché du travail s’améliorera, estime Jeff taylor. En outre, les cadres chargés du recrutement devraient traiter les demandeurs d’emploi avec professionnalisme, même si leur entreprise ne recrute pas activement, et conserver leurs curriculum vitae dans leurs archives. Nombre de ces postulants pourraient constituer leur principal réservoir de talents. »

Pour débusquer de nouveaux talents, les sociétés devront peut-être prospecter en dehors de leurs terrains de chasse habituels. Bengt Lejsved fait remarquer que l’Inde, par exemple, est une vraie pépinière en matière de TIC et que les compétences en matière de management et de production s’améliorent et se multiplient dans plusieurs pays asiatiques.

Le Suédois conseille aux entreprises d’employer de nouvelles méthodes pour repérer parmi leurs employés les éléments les plus doués dont le potentiel ne s’est pas encore révélé : « Faciliter et cultiver la fertilisation croisée des compétences au sein de votre propre structure pour encourager les rapprochements. »

 

Selon lui, les patrons doivent éviter de penser en termes de contraintes budgétaires pour trouver les moyens de retenir un salarié compétent. « Il est dangereux de perdre de bons employés. Un employeur peut laisser passer de bonnes opportunités tout simplement parce qu’il n’a pas les ressources humaines capables de les exploiter. »

Les compétences ne sont pas seulement une denrée rare, leur définition même est passée, de la capacité d’une personne à remplir une mission, à la façon dont elle communique et s’entend avec les autres, au sein de l’entreprise et à l’extérieur. Par conséquent, la nécessité de compétences sociales et émotionnelles des cadres augmente sans cesse et est devenue aussi primordiale que leurs compétences techniques, suppose Bengt Lejsved. « Les compétences en matière de communication et d’inspiration ont pris plus d’importance depuis que les salariés ont un œil plus critique, sont mieux formés et plus habitués aux processus décisionnels démocratiques. De nos jours, vous devez être capable de vendre votre vision à vos collègues et de leur faire comprendre et accepter ce qui a besoin d’être entrepris. Cela ne suffit plus de donner des ordres et des instructions, du moins pas dans les pays très industrialisés. »

Que l’avenir soit prometteur ou périlleux dépend, en d’autres termes, de votre point de vue. Si vous êtes un salarié exigeant mais doué, cet avenir vous appartient. Si vous êtes un directeur des ressources humaines se demandant s’il doit faire ou non des heures supplémentaires, ne vous posez plus la question : allez chercher un café et retournez à votre bureau.