Quelle route prendre ?
Le coût du carburant et les questions d’ordre écologique sont au cœur de toutes les formes de transports commerciaux. Certaines sont plus demandées que d’autres… pour l’instant. Evolution étudie l’avenir des transports et de la logistique dans le monde
Dans son discours de la 61e assemblée générale de l’IATA (International Air Transport Association), son directeur général Giovanni Bisignani a énuméré une série de chiffres consternants : en matière de carburant, la facture annuelle des compagnies aériennes appartenant à l’association s’est alourdie de 33 milliards d’euros par rapport à 2003 pour atteindre 71 milliards d’euros ; il a aussi signalé que les compagnies commerciales américaines avaient perdu quelque huit milliards d’euros.
Mais il a aussi ajouté que la situation n’était pas aussi sombre qu’il y paraît. L’année 2004 a été la meilleure en matière de sécurité aérienne depuis la création de l’IATA en 1945 et une année record en termes de passagers avec 1,8 milliard de personnes transportées. L’industrie employait alors quatre millions de salariés, générant 320 milliards d’euros de revenus.
Au sujet de l’environnement, Giovanni Bisignani a affirmé que jamais les transports aériens n’avaient été aussi écologiques et a mentionné une amélioration de 3,4 % du rendement énergétique globale des avions industriels en 2004. Les appareils modernes affichent un rendement énergétique de 3,5 litres de carburant par passager aux 100 km, soit l’équivalent d’une voiture familiale économique. Et avec l’avènement de l’Airbus A380 et du Boeing 787, la consommation devrait passer en dessous des trois litres.
Les propos de Giovanni Bisignani ne doivent rien au hasard. Les questions relatives au rendement énergétique et à la protection de l’environnement sont au cœur de chaque débat sur l’avenir des transports et du commerce. En dépit de l’augmentation du prix du pétrole et du durcissement de la législation environnementale, la route et les voies navigables seront les principaux moyens de transport des marchandises dans un futur prévisible et les volumes grandiront avec la croissance des économies de la Chine et de l’Inde. Il est difficile d’évaluer la hausse des volumes transportés par la route dans le monde car la plupart des mouvements de marchandises ne sont pas réglementés. Il est plus facile de suivre ces mouvements au sein de l’Union européenne : selon Steve Williams de la Road Haulage Association (organisme de contrôle des transports routiers) au Royaume-Uni, le transport de marchandises a grimpé de 38 % ces dix dernières années et devrait progresser encore plus vite avec l’entrée de nouveaux États membres.
La route a l’avantage de transporter les marchandises de porte à porte au cours d’une période de temps flexible. Le phénomène devrait s’accentuer ces prochaines années, estime Steve Williams, tout comme le débat qui va s’ensuivre sur les gaz d’échappement, au moins en Europe de l’Ouest et aux États-Unis. Deux éléments devraient émerger du lot : le besoin de technologies relatives au moteur et au carburant plus performantes et celui d’exploiter mieux la capacité des véhicules. Même si les biocarburants et d’autres sources de combustible ont le vent en poupe, le gasoil restera le carburant le plus consommé et le plus rentable pendant encore quelques années. Cela n’exclut pas certains changements importants : « D’ici environ dix ans, [le constructeur suédois de poids lourds] Scania sera prêt à monter un moteur qui associera le cycle Diesel [moteur Diesel] au cycle Otto [moteur à combustion] produisant une pollution quasi inexistante », annonce Hans-Åke Danielsson, directeur de la communication du groupe Scania. En attendant, les poids lourds devraient rouler avec un chargement plus conséquent grâce à une meilleure exploitation des technologies de l’information relatives à la logistique et la fusion des réseaux de transport actuels. Et on accordera plus d’importance aux camions plus gros, et donc moins nombreux, sur les routes européennes, comme c’est déjà le cas aux Pays-Bas et dans certains pays d’Europe du Nord. Le représentant de Scania fait remarquer qu’une formation adéquate des chauffeurs pourrait aussi avoir un rôle non négligeable en matière de performances environnementales : un bon conducteur peut économiser jusqu’à 20 % de carburant.
Bien que le nombre total de passagers au kilomètre est passé ces dix dernières années à neuf milliards, le volume de marchandises transportés par voie ferrée a seulement légèrement progressé pour atteindre 22,2 milliards de tonnes/km et ne devrait pas beaucoup évoluer. En Europe et aux USA, le rail a perdu face à la route qui assure le transport de porte à porte. Pour le moment, on ne sait pas encore comment les pays en développement vont utiliser leurs ressources ferroviaires. Le réseau indien, qui vient de fêter son 150e anniversaire, a certainement contribué au développement du pays. Mais aujourd’hui, la société publique, qui emploie 1,5 million de salariés, ne gagne pas suffisamment d’argent pour procéder aux investissements dont elle a besoin. Et elle perd des clients au profit du réseau routier qui s’améliore. Les anciens pays de l’Est sont dans la même situation. Mais certains « nouveaux » marchés européens sont plus optimistes quant à l’avenir du rail : la Slovaquie, qui devient progressivement le « Detroit » de l’Europe, estime que son réseau ferroviaire transportera 85 % des 900 000 voitures fabriquées sur son sol d’ici 2008. Dans ce secteur, on observe plusieurs tendances, dont l’augmentation du ferroutage.
Près de 90 % des exportations mondiales sont expédiées par voie maritime et les taux de fret dégagent un revenu d’environ 320 milliards d’euros pour le secteur, affirme Simon Bennett de l’International Chamber of Shipping à Londres.
Le commerce mondial redouble d’activité en raison en partie de l’expansion économique de la Chine. Ce pays a un besoin énorme de matières premières et la demande en navires capables de transporter les produits fabriqués sur place vers l’étranger est très soutenue. Cette demande a fait augmenter les taux de fret. En 2004, des commandes d’une valeur totale de 65 milliards d’euros ont été passées auprès des chantiers navals. À la fin de cette même année, la flotte marchande mondiale qui affiche une capacité de 889 millions de tonnes de port en lourd (tpl) a grandi de 14 % par rapport à fin 2000, affirme la compagnie Lloyd’s Register. La flotte mondiale de bateaux-citernes a augmenté de 39 millions de tpl rien qu’en 2004. Simon Bennett estime qu’étant donné le taux de croissance soutenu des économies indienne et chinoise, le volume de commerce maritime pourrait progresser de 30 % ces dix prochaines années. Mais le transport maritime est toujours sensible aux facteurs politiques imprévus et la demande est notoirement volatile, ajoute-t-il en mentionnant l’exemple de la crise pétrolière et de la réouverture du canal de Suez. Même si ce moyen est le plus écologique de tous en matière d’émissions et de consommation d’énergie par tonne transportée, il ne faut pas perdre de vue la question du pétrole. « Si le pétrole vient à manquer, on pourra toujours retourner à la voile. »