Savoir-faire nucléaire

Alors que la planète est en quête permanente d’une énergie plus verte et plus abondante, en Belgique, le centre d’étude de l’énergie nucléaire est investi d’une mission cruciale : rendre la physique nucléaire encore plus sûre.

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Résumé

Le SCK•CEN (Studiecentrum voor Kernenergie ou Centre d’étude de l’énergie nucléaire) a été créé en 1952 dans le but de permettre l’accès des milieux académique et industriel belges au développement de l’énergie nucléaire dans le monde entier. C’est une fondation d’utilité publique à statut de droit privé placé sous la tutelle du ministère fédéral de l’Énergie. Le SCK•CEN emploie plus de 600 salariés, dont un tiers de diplômés universitaires.

Alors que la planète est en quête permanente d’une énergie plus verte et plus abondante, en Belgique, le centre d’étude de l’énergie nucléaire est investi d’une mission cruciale : rendre la physique nucléaire encore plus sûre.

Dissimulé derrière de hautes grilles dans une forêt de la périphérie de Mol dans le nord-est de la Belgique, le Centre d’Étude de l’énergie Nucléaire, le SCKCEN, abrite l’un des réacteurs nucléaires les plus puissants du monde, ainsi qu’une équipe de chercheurs dévoués dont la mission est de renforcer davantage la sûreté nucléaire.

Le programme nucléaire belge est né en 1944, date à laquelle le gouvernement américain et le Royaume-Uni concluent avec les Belges un marché portant sur les réserves d’uranium de la mine de Shinkolobwe, au Congo. La Belgique s’engage à fournir du minerai d’uranium aux Alliés et à leur accorder un droit exclusif sur ces réserves pendant 10 ans en échange d’un accès au savoir-faire nucléaire pour la recherche, ainsi que pour les applications commerciales et non militaires. En 1952, on inaugure le SCKCEN.

Sa mission, dans une perspective de développement durable, est de contribuer à la recherche et au développement, à la formation, à la communication et aux services en matière de sûreté nucléaire et radioprotection, d’applications médicales et industrielles des radiations, de fin du cycle du combustible nucléaire (traitement et gestion de déchets). Les projets de recherche sont principalement d’ordre sociétal : la sûreté des réacteurs et du combustible, la gestion des déchets radioactifs, le démantèlement des centrales et la protection contre les radiations. Le centre participe également activement aux programmes de formation et de sensibilisation belges et européens.

La star du centre est le réacteur BR2 d’essai de matériaux, refroidi par eau sous pression. « Le BR2 est un réacteur à flux neutronique élevé : celui-ci peut atteindre jusqu’à 1015 neutrons par cm² et par seconde, ce qui en fait le réacteur d’essai de matériaux le plus puissant d’Europe », indique Bernard Coupé, responsable de l’instrumentation et du contrôle au SCKCEN. Le BR2 a produit sa première réaction en chaîne en juillet 1961 et est entré en service en 1963. Il fonctionne à l’uranium enrichi à 90-93 % (235U).

Il sert aux études scientifiques menées par les services du centre, mais également aux expériences effectuées pour le compte de clients externes. « En ce moment, nous travaillons sur un projet visant à tester la sûreté d’un carburant expérimental qui servira dans le nouveau réacteur en construction au CEA Cadarache, près d’Aix-en-Provence, dans le sud de la France, explique Bernard Coupé. On mesure sa résistance, ses réactions et sa longévité, on contrôle son comportement à l’intérieur du réacteur en le soumettant à un haut flux neutronique. »

En plus de sa vocation expérimentale, le BR2 sert également à la production de radio-isotopes et au dopage par transmutation neutronique du silicium. « Environ 30 % de notre budget est accordé par l’État, mais le réacteur n’est pas forcément une installation de recherche rentable. Les revenus générés par ces projets commerciaux financent une partie de notre fonctionnement. »

« Le réacteur BR2 est une installation importante pour la production de radio-isotopes servant à la recherche et aux applications médicales et industrielles, souligne Bernard Ponsard, chef de projet radio-isotopes et silicium ASC. On recense six réacteurs à haut flux dans le monde et le BR2 est le seul capable en Europe de fabriquer des isotopes spécifiques tels que le tungstène-188 (W-188) pour la production de générateurs tungstène-188/rhénium-188 à fins thérapeutiques. Ainsi que d’autres réacteurs de recherche européens, le BR2 offre une grande capacité d’irradiation pour activités commerciales dans le monde entier. »

 

Le radio-isotope le plus importantque produit le centre est le molybdène-99, produit de fission qui sert à fabriquer des générateurs de molybdène-99/technétium-99m. « Le technétium-99m est utilisé dans 80 % de tous les examens diagnostics en médecine nucléaire, mais il n’a qu’une demi-vie de six heures. Il est donc essentiel d’assurer un approvisionnement continu, précise Bernard Ponsard. Nous avons conclu des accords avec d’autres réacteurs pour accorder nos plannings de production afin de garantir ce service. »

« Nous produisons également une large gamme de radio-isotopes tels que le samarium-153, le rhénium-186 et le lutécium-177 qui servent à soigner les cancers, ainsi que l’iridium-192 destiné au traitement des petites tumeurs. La production de ces isotopes à fins médicales représente la plus grande partie de notre activité commerciale. »

L’iridium-192 est également produit pour des applications industrielles. Il sert aux opérations de gammagraphie qui vérifient la solidité des soudures industrielles. « Nous produisons aussi d’autres éléments comme le mercure Hg-203, un traceur qui vérifie l’homogénéité des processus chimiques. »

La troisième application des radio-isotopes est la recherche. « Parfois, des chercheurs nous contactent pour produire des radionucléides ‘exotiques’ tels que le néodyme-147, un traceur radioactif servant dans la recherche sur les matières fissiles », reprend Bernard Ponsard. Le SCKCEN assiste également la recherche universitaire ; il vient, par exemple, de fournir à l’université d’Anvers du cuivre-67 pour découvrir comment les poissons assimilent certains métaux lourds dans l’eau polluée.

Autre source de revenus conséquente, la fourniture de silicium dopé à l’industrie de l’électronique, en grande partie implantée au Japon. « Nous irradions des lingots de silicium à l’intérieur du réacteur pour modifier leur résistivité, explique le chercheur. Par la suite, le client les découpera en tranches de 2 mm qui seront gravées, puis soudées à l’intérieur du matériel électronique. » (voir article page 7).

 

Le centre a traité quelquecinq tonnes de silicium en 2007. « Actuellement, nous pouvons irradier des lingots de silicium d’un diamètre maximal de 127 mm, mais, en 2008, le projet POSEIDON va permettre de passer à 202 mm, ce qui va faire énormément grimper notre capacité annuelle et justifiera l’instauration d’une sixième période de fonctionnement du réacteur. » À l’heure actuelle, le BR2 fonctionne pendant cinq cycles de 21 jours chaque année. Le reste du temps est réservé aux opérations de maintenance, essentielles, au chargement et au déchargement du réacteur et à la préparation de nouvelles expériences.

En plus de ce réacteur, le SCKCEN compte d’autres installations : le BR1, un réacteur modéré au graphite et refroidi par air, qui sert à l’analyse par activation neutronique, au calibrage, à la neutronographie et aux expériences en tant que réacteur de référence ; le réacteur de puissance zéro VENUS pour l’analyse détaillée des conse bild urations du cœur de réacteur ; le laboratoire souterrain HADES pour l’étude du stockage des déchets nucléaires. Mais c’est le BR2 qui ne cesse de gagner en importance à mesure que le nombre de réacteurs de recherche à haut flux décline. « La capacité d’irradiation du BR2 est telle qu’il est la Rolls-Royce des réacteurs », conclut Bernard Ponsard.


Réactivité assurée

La matrice de béryllium dans la partie centrale de la cuve du réacteur BR2 comprend 79 canaux hexagonaux dans lesquels on peut introduire des éléments combustibles, des barres de contrôle en cadmium, des expériences ou des éléments pour production commerciale (silicium dopé, radio-isotopes, etc.).

Étant donné qu’elles absorbent les neutrons sans fissionner, les barres en cadmium contrôlent le flux neutronique et la réactivité dans le cœur du réacteur.

Les barres sont déplacées à l’intérieur du réacteur à l’aide de vis à rouleaux SKF en acier inoxydable. Celles-ci sont assorties d’une garantie de 10 ans minimum et sont recouvertes d’un revêtement spécial qui prolonge leur durée de vie.

En cas d’augmentation soudaine du flux, l’excès de neutrons est absorbé par les barres de contrôle que l’on immerge totalement dans le cœur du réacteur pour stopper immédiatement la réaction en chaîne. Ce résultat est obtenu en 10 millièmes de seconde. Les barres plongent de 250 mm en moins de 200 millièmes de seconde.


Le réacteur BR2

Le cœur du réacteur BR2 du SCK•CEN dispose d’un canal central vertical de 200 mm de diamètre. Tous les autres canaux sont inclinés pour former une conse bild uration hyperboloïde autour de ce canal. Ceci confère de la compacité et une densité de puissance élevée. Il offre de nombreuses positions expérimentales, ainsi que quatre canaux périphériques pour gros appareils d’irradiation. Il est très flexible en termes d’utilisation, sa conse bild uration et ses modes opératoires pouvant être adaptés en fonction des paramètres des expériences.