Un rêve devenu réalité
Animé par sa passion d’enfant pour l’archéologie en Turquie, Marc Waelkens a fait une carrière illustre. Chemin faisant, il a bouleversé les méthodes de l’archéologie de terrain.
En bref
Sagalassos
Les ruines de Sagalassos sont situées à une centaine de kilomètres au nord de la ville moderne d’Antalya. La cité est déjà un grand centre régional au moment de sa conquête par Alexandre le Grand en 333 avant notre ère. Plus tard, sous la domination romaine, elle prospère jusqu’à ce qu’elle soit frappée par une série de catastrophes naturelles. La région commence alors à décliner puis finit par être désertée.
Aujourd’hui, Sagalassos est un site historique très visité dans le sud-ouest de la Turquie. La photo à droite montre le nymphée antonin restauré. Pour plus de détails : http://www.tursaga.com/fr
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Les enfants voient souvent très grand quand ils rêvent au métier qu’ils feront plus tard. En réalité, ils sont peu nombreux à devenir cosmonaute, pilote ou pompier comme ils le pensaient à l’âge de 5 ou 6 ans.
L’une des rares exceptions est l’archéologue Marc Waelkens, professeur émérite à l’université de Louvain, en Belgique. L’été dernier, il a mis un terme à une longue et illustre carrière universitaire dont les origines remontent à une soixantaine d’années, dans son enfance. « Je peux dire exactement ce qui a fait naître ce rêve en moi et quand cela s’est produit, raconte Marc Waelkens depuis son domicile de Louvain, à environ 25 km à l’est de Bruxelles. J’avais six ans quand j’ai lu une série sur les exploits d’Heinrich Schliemann dans une revue de bandes dessinées. C’est lui qui a découvert les vestiges de Troie et a prouvé, contre toute attente, que la ville légendaire avait bien existé. J’ai su dès ce moment-là que je voulais être archéologue en Turquie et rien d’autre. »
Sa carrière universitaire a commencé à Gand, en Flandre-Orientale. Alors en deuxième année de licence d’histoire ancienne, il se rend pour la première fois en Turquie sur le site de Pessinonte, une ville en ruine d’Asie mineure. Cette expérience est le début d’une longue idylle avec ce pays. « C’était en 1969 et, depuis, j’y suis retourné chaque année. »
Après son doctorat en 1976, il est embauché comme chercheur au Fonds national belge de la recherche scientifique. Il s’y fait un nom en participant aux chantiers de fouilles en Turquie, en Grèce, en Syrie et en Italie.
En 1983, il rejoint une équipe d’archéologues britanniques désireuse d’établir un relevé des vestiges de la cité antique de Sagalassos, en Anatolie. Le théâtre est exposé à l’air libre mais la plupart de ses murs sont intacts, protégés du pillage par la distance et l’absence de routes d’accès. Le site promet de révéler d’autres merveilles. L’histoire de Sagalassos avait été riche et cosmopolite. Ses citoyens étaient très progressistes et avaient adopté le mode de vie des Romains avant que des tremblements de terre et d’autres calamités poussent à son abandon au 7e siècle de notre ère.
À l’époque de la première visite de Marc Waelkens, les archéologues ont entrepris de cartographier d’urgence les sites encore intacts dans le Taurus occidental afin de les protéger. Le Belge se joint à eux avec joie. « Cette première visite a changé le cours de mon existence. J’ai eu le coup de foudre, je savais que j’avais trouvé ce que je cherchais. Je me souviens avoir vu un jour un aigle accompagner notre minibus entre le chantier et la maison où l’équipe était hébergée. C’était comme si nous roulions sous la protection de Zeus lui-même. »
Quand l’équipe britannique part étudier d’autres sites, Marc Waelkens décide de rester à Sagalassos. En 1989, il y entreprend de petites fouilles sous les auspices du musée archéologique de Burdur, en Turquie, avec l’aide de cinq ouvriers et de cinq archéologues.
En 1990, Ankara lui accorde l’exclusivité des fouilles sur le site. À cette époque, il a déjà quitté l’université de Gand pour celle de Louvain. À partir de ce moment, tout ce qu’il entreprend est d’une manière ou d’une autre liée à cette citée antique qu’il surnomme sans la moindre trace d’ironie sa « promise ».
Chaque année, il passe quelques mois sur place, parcourant une vingtaine de kilomètres par jour, armé d’appareils photo et de lourds équipements. Il écrit de nombreux ouvrages et des centaines d’articles sur Sagalassos et devient un collecteur de fonds infatigable pour financer les fouilles et les travaux de restauration.
Dans l’intervalle, il crée le Leuven Centre for Archaeological Sciences et plusieurs réseaux scientifiques internationaux, reçoit de nombreux prix dans le monde entier et est fait chevalier par le roi Albert II de Belgique. « Je n’ai jamais dormi plus de trois heures par nuit et ce rythme n’a pas changé depuis mon départ à la retraite. On dirait que je ne peux pas m’arrêter. »
Hormis les nombreux objets et ruines inestimables découverts par ses soins à Sagalassos, sa plus grande réussite, d’après de nombreux spécialistes, est d’avoir modifié l’approche de l’archéologie classique. Il a intégré au domaine une méthodologie complète associant des disciplines aussi diverses que l’archéobotanique, la palynologie, l’archéozoologie, l’anthropologie, la géomorphologie et la géologie.
Cette démarche novatrice a permis d’obtenir des informations sans précédent sur Sagalassos et bien d’autres sites. « Nous avons analysé près de deux millions d’arêtes de poisson et d’objets fabriqués en os. C’est comme ça qu’on a su qu’on y a mangé du poisson pêché dans les eaux du Nil pendant des siècles. Et nous avons réussi à dater le séisme qui a détruit la cité au début du 7e siècle en étudiant les pelotes de réjection des chouettes qui nichaient dans les thermes. »
Le magazine de bandes dessinées qui a déterminé sa destinée est aujourd’hui encadré et orne l’un des murs de son bureau. Le rêve du petit garçon de six ans s’est-il réalisé ? Il réfléchit un instant. « C’est encore mieux que cela », répond-t-il dans un souffle.